Les fêtes de Jeanne d’Arc : une célébration nationaliste, militariste et cléricale

Cette année encore la ville d’Orléans, le diocèse, la garnison militaire d’Orléans ainsi que l’association « Orléans Jeanne d’Arc » co-organisent les « fêtes johanniques », un évènement censé célébrer la libération de la ville par Jeanne d’Arc en 1429. Pour cette occasion une lycéenne est choisie et figurera Jeanne d’Arc pendant toutes les festivités en défilant à travers la ville. Mais l’évènement n’est malheureusement pas une simple fête célébrant l’histoire de la ville puisqu’il est aussi complété par des offices religieux et même un défilé militaire. 

Si Jeanne d’Arc a autant marqué l’histoire , au-delà de son rôle militaire, c’est aussi parce qu’elle sortait des codes de son genre et a pu porter l’armure en tant que femme. C’est d’ailleurs parce qu’elle porte les cheveux courts et des vêtements masculins qu’elle sera condamnée. Il existe donc aussi des lectures historiques de la vie de Jeanne d’Arc qui la resituent comme une héroïne féministe ou queer. 

Mais ça n’est pas dans une vision progressiste qu’elle est mise à l’honneur lors des fêtes johanniques à Orléans,  bien au contraire.

Chaque année la lycéenne qui incarnera Jeanne d’Arc pendant les fêtes est choisie selon des critères rétrogrades par un comité composé de militaires et religieux, elle doit notamment remplir quatre conditions :
– habiter Orléans ou une commune limitrophe depuis 10 ans ;
– être scolarisée dans un lycée d’Orléans (sans limite d’âge) ;
– être catholique (baptême et preuve d’engagement dans sa vie de foi) ;
– avoir un engagement associatif (comme le scoutisme ou toute aide aux autres, notamment humanitaire).

On a donc très souvent à la fin des profils de lycéennes catholiques intégristes issues de milieux bourgeois et scolarisées dans des établissements privés (on est loin d’une fête populaire !) .

La figurante choisit ensuite deux « pages » qui l’accompagneront tout au long des cérémonies. L’année dernière la Jeanne avait choisit comme page un lycéen engagé auprès de l’Action Française, un mouvement royaliste et antisémite. Celui-ci à dû être écarté après révélation de ses engagements dans les médias.

Une des figurantes de Jeanne d’Arc est aussi devenue très connue à l’extrême droite : Charlotte d’Ornellas, choisie en 2002 pour incarner Jeanne. Elle a depuis fait une belle carrière de chroniqueuse dans la presse d’extrême droite si bien qu’elle est décrite par Streetpress comme « la journaliste préférée de la fachosphère ».

C’est donc tout naturellement que la ville d’Orléans l’avait choisie pour être la voix off d’un documentaire sur les fêtes de Jeanne d’Arc en 2021.

Mathilde Edey Gamassou la première Jeanne d’Arc racisée a pour sa part subi un harcèlement raciste sur les réseaux sociaux en 2018.

Comme on l’a vu avec le choix de la Jeanne, les fêtes johanniques sont loin de correspondre à la laïcité qui est mobilisée si facilement contre les personnes musulmanes. Ici aucun problème pour organiser une grande fête religieuse avec de l’argent public ni pour la présence officielle des élus à des cérémonies religieuses.

Pas de problème non plus pour que l’armée s’y associe. C’est d’ailleurs l’occasion d’un grand défilé militaire à travers la ville et l’on fait également visiter la base militaire à la Jeanne et à ses pages. On peut ainsi admirer en famille les machines, les hommes et les femmes qu’on enverra tuer ou se faire tuer pour maintenir le néocolonialisme français dans d’autres pays.

Défile militaire à Orléans

En plus des défilés militaires et religieux un spectacle Historock se tiendra au théâtre Gérard Philippe, dans le cadre des fêtes de Jeanne d’Arc selon Dimitri Casali ,son auteur et promoteur, coqueluche des médias d’extrême droite. Le spectacle qui se présente comme une « grande fresque historique » s’apparente en réalité à une offensive de propagande réactionnaire de mauvais goût, très éloignée des exigences pédagogiques selon le syndicat Sud éducation Loiret.

Même si il ne figure pas au programme officiel des fêtes le spectacle  bénéficie du soutien de la ville d’Orléans qui a apposé son logo sur l’affiche. William Chancerelle adjoint à la culture d’Orléans a même déclaré : « Je suis tombé des nues avec cette polémique. Nous cautionnons ce spectacle et nous l’assumons ».

Sous couvert de la célébration d’une figure « locale », les fêtes johanniques sont en réalité un parfait prétexte pour véhiculer des images rétrogrades et désuètes. Il ne s’agit ici pas d’histoire, mais bien d’une instrumentalisation de celle-ci afin de raviver le nationalisme le plus crasse.

Jean Marie Le Pen crie « Jeanne au secours ! » devant la statut de Jeanne d’Arc

La figure de Jeanne d’Arc est depuis le XXe siècle largement récupérée par l’extrême droite, notamment par Charles Maurras et l’Action française. Historien spécialiste des usages contemporain du Moyen Âge, William Blanc constate que depuis les années 80 « le FN a ‘trusté’ cette figure en termes politiques, alors que dans d’autres pays c’est plutôt un personnage progressiste ». 

L’historien affirme qu’il est insensé de faire de Jeanne d’Arc « une figure du patriotisme » et que c’est historiquement « très problématique ». En effet, il étaye son propos en s’appuyant sur les travaux de Colette Beaune en expliquant que « la notion d’identité nationale n’est pas centrale à l’époque médiévale ». Tout cela, révèle l’instrumentalisation anachronique de l’histoire par l’extrême droite. 

Il est donc vain de chercher une interprétation positive aux fêtes de Jeanne d’Arc. Celles-ci représentent l’évènement réactionnaire le plus célébré d’Orléans. Ces fêtes réunissent l’Eglise, l’Etat et l’armée , trois institutions qu’on aimerait voir disparaître au plus vite en tant qu’antifascistes. Profitons des manifestations populaires et révolutionnaires du 1er mai plutôt que du défilé des réacs.